Lire un vase grec : le peintre des Niobides, le cratère éponyme
Lorsque l'on arpente les musées, on a tendance à se diriger spontanément vers les "chefs-d’œuvre", quitte à manquer d'autres objets tout aussi beaux. C'est le cas au musée du Louvre de la galerie Campana, neuf salles en enfilade qui abritent près de 4 000 vases grecs et italiques. Cette impressionnante collection acquise par l'empereur Napoléon III a fait l'objet d'une exposition il y a cinq ans (https://youtu.be/BiES-SEFGEc). Bien que l'accrochage a été considérablement modernisé depuis l'ouverture de cette galerie, le visiteur peut toujours ressentir un sentiment de vertige à la vue de cette impressionnante collection. Je propose de mettre à l'honneur ce corpus avec un objet en particulier : le cratère des Niobides.
Avant d'aborder la céramique : être artisan à Athènes, VIe-Ve siècle av. J.-C.
Un chef-d’œuvre de la céramique attique : le cratère des Niobides
Face A : les Argonautes ou les héros de Marathon
Attribué au Peintre des Niobides, ce cratère en calice est le cratère éponyme (le vase qui a donné son nom au Peintre), réalisé en Attique entre 460 et 450 av. J.-C. La technique utilisée est celle des figures rouges. Le vase mesure 58 cm de haut pour 54 cm de diamètre à l'extrémité maximale. Ce cratère est conservé à Paris, au musée du Louvre.
Nous nous intéressons à la face A, que le visiteur peut apprécier lorsqu'il sort de la salle consacrée au temple d'Olympie pour gagner la salle du Parthénon. A gauche, une femme casquée, portant l'égide (sorte de cuirasse), se tient à l'écart : nous reconnaissons ici Athéna, déesse de la sagesse et de la stratégie militaire. Devant la déesse, un soldat est paré d'un bel équipement : casque à cimier, cnémides (sorte de jambières), lance et bouclier. En bas, un homme allongé tient deux lances. Au dessus, un autre assis plie le genou, probablement blessé. A droite, un troisième debout s'est débarrassé de son casque, qu'il contemple d'un air méditatif. Au centre, un homme nu porte une massue dans la main droite, un arc dans la main gauche et une peau de lion sur son épaule gauche. Son front est ceint d'une couronne de lauriers, attribut des dieux et des héros illustres : il s'agit d'Héraclès. L'interprétation de la scène est problématique. Au IVe siècle av. J.-C., Pausanias décrivait une fresque de Micion dans l'Anakeion représentant la réunion des Argonautes avant leur départ d'Iolcos. Un autre rapprochement a été proposé avec une peinture dans la Stoa Poikilé représentant le héros Marathon et Thésée, ou les préparatifs de la bataille de Marathon avec des allégories politiques.
Face A, détail : Héraclès
Sur la face B, divers personnages gisent à terre tandis que deux archers bandent leurs arcs. L'homme porte une lyre sur le côté et une couronne de lauriers, attributs d'Apollon. A gauche, dans une attitude rigide, est représentée Artémis, la sœur d'Apollon. La composition de la scène permet de reconnaître un épisode de la mythologie grecque rapporté par Pseudo-Apollodore : le Massacre des Niobides.
"Zéthos épousa Thébè, qui donna son nom à la ville de Thèbes ; Amphion épousa Niobé, la fille de Tantale. Elle mit au monde sept garçons : Sipyle, Eupinytos, Isménos, Damasichthon, Agénor, Phaédimos, Tantale ; et sept filles : Éthodaia (ou Néère selon certains), Cléodoxa, Astyoché, Phthia, Pélopia, Astycratia, Ogygia. Hésiode, lui, dit que Niobé eut dix fils et dix filles ; Hérodore dit deux fils et trois filles ; Homère six fils et six filles. Fière d'avoir tant de beaux enfants, Niobé se vanta un jour d'être une mère plus heureuse que Léto elle-même. La déesse, indignée, poussa Apollon et Artémis contre les enfants de Niobé. Toutes les filles furent tuées chez elles par les flèches d'Artémis ; et tous les garçons furent tués par Apollon, alors qu'ils chassaient ensemble sur le Cithéron. Parmi les garçons, seul Amphion se sauva, et parmi les filles, seule Chloris, l'aînée, qui épousa Nélée. Télésilla, pour sa part, déclare qu'Amyclas et Mélibée se sauvèrent et qu'Amphion fut tué par eux [les dieux]. Niobé quitta Thèbes et se réfugia auprès de son père Tantale, sur le mont Sipyle. Elle implora les dieux, et Zeus la changea en pierre ; nuit et jour, de cette pierre s'échappent des larmes."
Pseudo-Apollodore, Bibliothèque (III, 5, 6)
Face B, détail : Niobide gisant
Une première remarque peut être faite sur la composition du vase, dite "polygnotéenne". Le paysage est davantage suggéré que représenté. Les figures sont étagées. L'idée de profondeur est rendue par des rochers qui cachent les personnages, comme ce Niobide gisant (cf.supra). Sur la face B, l'attitude d'Apollon peut être rapprochée du groupe des Tyrannoctones. Ces rapprochement mettent en évidence l'influence des arts majeurs que sont la peinture et la sculpture sur les arts dits mineurs. La première moitié du Ve siècle av. J.-C. constitue une période de changements. En 480 av. J.-C., le saccage d'Athènes par les Perses a impulsé une nouvel élan politique et artistique qui exalte les valeurs de la cité. Sculpteurs, peintres et artisans travaillent à la grandeur d'Athènes. Le peintre des Niobides et deux ceux-là, et le cratère éponyme est son chef-d’œuvre. Je laisse à la plume de John Boardman le soin de décrire le style de ce peintre :
"Massives et scrupuleusement dessinées, ses figures ont belle allure et reflètent probablement la possibilité de coloris et de détails plus nombreux dans la grande peinture. Le peintre des Niobides a un œil exercé en ce qui concerne les motifs du vêtement et les nuances de la narration. Son travail est empreint d'une monumentalité qui fit défaut à ses prédécesseurs, hormis peut-être le peintre de Cléophradès, et c'est une qualité à laquelle davantage de peintres de vases vont désormais aspirer, à travers divers degrés de conviction."
Bibliographie, sitographie :
- Platon. Le Banquet (trad. Chambry, E.). GF-Flammarion (1964)
- Pseudo-Apollodore. Bibliothèque (trad. Bratelli, U., 2002). http://ugo.bratelli.free.fr/Apollodore/Livre3/III_5_6.htm
- Boardman, J. (2000). Les vases athéniens à figures rouges. La période classique (trad. Diebold, C.-M.). Thames & Hudson (Ouvrage original publié en 1989)
- Marcadé, J. (1999). [Review of Le cratère des Niobides (Collection Solo, 7), by M. Denoyelle]. Revue Archéologique, 2, 404–405. http://www.jstor.org/stable/41738149
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